vendredi 26 décembre 2014

Conte de Noël

Il était une fois une petite maison de campagne entre lande et colline. Ici tout sentait l'herbe coupée à l'heure fraîche du matin, on entendait les coqs chanter très tôt dans la nuit, et si l'on aimait le muguet autant que la violette, c'est dans ce jardin qu'il fallait venir se reposer. Derrière la haie de buis taillés, se cachait une adorable petite maison toute recouverte d'ardoise, d'où une épaisse fumée gris pâle presque blanc neige s'échappait de la cheminée. C'est par une nuit de fin croissant de lune que s'étaient installés Blanche et Théobald, jeunes amoureux, jeunes mariés, assoiffés de vie comme d'espaces vierges. Théobald était fils de maréchal ferrant. Il connaissait la campagne et le rude travail de la ferme. C'est à dos de cheval qu'ils arrivèrent tous les deux cette nuit-là, leurs quelques valises chargées sur le grand percheron aux crins miel, dont le pelage fumait dans le froid de l'hiver. Blanche installa quelques affaires rapportées de sa vie d'avant. Elle déplia son trousseau, tout garni de draps en fils brodés, de taies bordées de fines dentelles, de couvertures en laine douce. Sur la petite chauffeuse de velours rouge, elle déposa le châle de soie porté le jour de son mariage, un grand châle couleur de pêche de printemps, qu'une nuée d'abeilles crèmes venait envahir à grands renfort de fils d'or et d'argent. Quelques trésors déposés là dans cette petite maison, aux murs chaulés de blanche chaux. Quelques jolis meubles en chêne clair semblaient avoir été déposés ici il y a si longtemps... C'est là que Blanche voulait vivre, puisque c'est là qu'était Théobald. Elle n'avait que faire du faste, comme des dorures, et même si la naissance lui destinait bien plus confortable, c'est auprès de lui qu'elle souhaitait vivre en modeste paysanne.

Les années passèrent, et Blanche mit au monde trois enfants. Lune, Percival et Capucine. Au jour où je vous parle Lune avait douze ans, Percival sept ans et Capucine deux ans. Nous étions en décembre, et le sapin tout paré de rubans et de boules scintillait dans le petit salon de la maison au toit d'ardoise. Les buis avaient bien grandi, et ce jour-là les tapis de fleurs étaient en sommeil sous la neige épaisse et blanche qui recouvrait de son manteau de ouate fraîche la nature sourde sur plusieurs kilomètres à la ronde. Ici, tout sentait les épices, les écorces d'oranges et le feu de bois. Percival jouait sur le petit tapis de laine framboise et vert wagon, un tout petit tapis qu'il prenait pour une carte routière improvisée, où les sinusoïdales prenaient le pas sur les grandes voies bien droites. Sa petite voiture roulait, et roulait plus vite encore sur la route escarpée qu'il croyait toute bordée de ravins et de fossés tombant à pic. Percival  aimait le frisson. Capucine faisait sa sieste tandis que Lune jouait du piano droit à côté de la cheminée. Toute la vie de la famille se déroulait en hiver entre la cuisine et le salon, les deux seules pièces bien chaudes de la maison. Ici, les jacinthes pouvaient fleurir, et les lentilles pousser vertes et drues, car dehors il faisait si froid. Blanche rentra du jardin glacée, en portant quelques bûches, et son panier tout garni de houx couvert de boules rouges vif. Elle pleurait. Les larmes roulaient sur ses joues cramoisies, comme de petites perles de verre soufflé, finissant en lustre brillant le long de sa mâchoire au dessin parfait. Blanche prit soin de ne pas se faire voir par ses deux enfants, mais Lune s'en aperçut.

- Pourquoi es-tu si triste Maman, que se passe-t-il? Dans quelques jours ce sera Noël, il ne faut pas pleurer.
- Ce n'est rien, ne t'en fais pas.

Blanche rangea le bois dans le grand panier d'osier, dans un geste machinal mais fébrile.

- Mais ta bague Maman! s'exclama la jeune fillette à sa mère. Où es ta bague?

La bague était perdue, et c'était bien ce qui faisait pleurer Blanche. Il n'y avait plus de bague au doigt de sa mère. Cette bague d'or toute ciselée, que Lune avait toujours connue entourant d'or soleil la fine peau laiteuse de sa maman à elle, était perdue. Et quel bijou pourtant. Un bijou si vieux et si précieux que cela faisait au moins dix générations qu'elle était transmise de mère en fille, le jour des noces. Mélange d'or, de rubis et de diamants taillés en rose, cette bague formait un coeur tenu par deux mains jointes de chaque côté. C'était une bague d'amour.

Blanche pleura en secret plusieurs nuits. L'objet avait chu dans la neige, entre la maison et le grand bois sombre, peuplé de sapins centenaires et de charmes immenses. Impossible de retrouver une si petite chose dans l'infini blanc et marine de cette nature toute puissante. Blanche pleura beaucoup, avant de décider que cela ne servait à rien. On ne pleure pas les biens matériels de ce monde, fussent-ils même rares, précieux et chargés d'histoire. La vie de l'Avent reprit son cours et la maison sentit plus encore la cannelle, l'orange, et la bonne eau de vie. Les calissons étaient prêts, les lentilles bien vertes, et la crèche toute tapissée de mousse bien épaisse.

Lune ne cessait de penser à la bague de sa mère, si bien qu'elle avait pris soin d'ajouter dans sa lettre au Père Noël:    "S'il te plaît, retrouve la bague de maman, celle qui brille, brille, brille..."

Au matin du Réveillon, c'était jour de fête, Blanche était en cuisine, Théobald ferrait les chevaux des voisins qui venaient d'Angleterre, ceux qui habitaient pour les vacances la grande maison de l'autre côté de la vallée. Lorsque venait la nuit, les deux maisons pouvaient l'une comme l'autre apercevoir les fenêtres éclairées et le serpent de fumée claire, dans la nuit sombre, de chacunes d'elles. Lune, Percival et Capucine adoraient s'assurer que la grande maison était éclairée car cela prouvait que les vacances venaient de commencer. Dans le four ce matin-là, se succédaient les pâtisseries sucrées, les tourtes à la viande et la bonne tourte au vert. Blanche chantait un air de Noël, et les trois enfants jouaient.
Il y eu un grand bruit de verre cassé.

- Lune viens donc m'aider un peu! cria Blanche. Je viens de renverser le grand pot de farine!

Et quel bazar! La cuisine était toute blanche tant au sol que dans l'air, où flottait des nuages de blé... Lune pouffa.

- Attrape le balai, petit fille, et prends un tablier!

Lune détestait passer le balai. Et faisait croire à tous que toucher un balai la rendait allergique, éternuements et plaques rouges, bref, elle ne touchait jamais un balai. Mais là, force était de constater qu'elle n'avait pas le choix, puisque la cuisine était aussi blanche que leur jardin, blanche comme le prénom de sa mère. Lune rechigna un peu, avant de s'agenouiller de bon coeur dans la fine poudre, ce qui s'avisa bien plus drôle qu'elle ne l'imaginait.

Après une grosse demi heure de nettoyage, la cuisine avait repris forme humaine, et Lune s'apprêtait à rejoindre son frère et sa soeur dans le salon. Quand le petit chat Eliott sortit de dessous le buffet. Il était tout couvert de farine.

- Attrape-le! ordonna Blanche, Avant qu'il ne salisse tout à nouveau.

Le petit chat se cacha dans un tout petit coin, entre la table et le fourneau. De ces petits coins chauds où il aimait à faire la sieste. Lune se plia en boule pour atteindre l'animal qui miaulait un peu de se voir ainsi chassé.

- Maman, maman! Lune bondit. Regarde maman ce que je viens de trouver.

Le sang de Blanche ne fit qu'un tour.

- C'est ta bague Maman... Ta bague!

Et c'était vrai. La bague était revenue. Elle brillait si fort, qu'on aurait cru à une étoile.

- Maman, c'est le Père Noël, c'est sûr, je lui avais demandé, je lui avais écrit. Et il m'a exaucée Maman. Tu vois c'est la preuve qu'il existe...

Blanche sourit tout en serrant fort sa fille dans ses bras. Ses longs cheveux blonds sentaient le chèvrefeuille, ou peut-être le rosier mousse... songea-t-elle le coeur battant. Comment cette bague pouvait-elle se trouver là. Blanche le savait, c'est dans la forêt que la bague était tombée. Magie, ou providence... Blanche ne savait pas. Et ce n'était pas l'important, puisque les deux pouvaient continuer leur chemin main dans la main. Un chemin long sous les étoiles, parfois enneigé, parfois caillouteux, une route bordée de fleurs de tendresse, des fleurs qui sentent le chèvrefeuille ou la violette... le lilas ou le benjoin... La myrrhe...Autant de notes qui pourraient se tourner vers le ciel, pour célébrer Dieu et le Père Noël.


4 commentaires:

  1. Un merveilleux conte de Noël que j'ai lu a mes neveux...je retrouve ta poule magnifique.
    Merci Julia pour ces détails parfumés et goûteux de ta vraie vie que j'ai retrouvés tout du long.
    Et bravo !
    Toi aussi, un petit cadeau t'attend en réponse a ton commentaire.

    ¸¸.•*¨*• ☆

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  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  3. Superbe conte de Noël, bien dommage que je ne suis pas encore maman, pour le lire à mes enfants, mais je le garde sous le coude, car ce moment viendra très vite maintenant, ... j'espère !!! Merci à toi ma chère amie.

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